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Cécile Baërd au Théâtre de Vanves

Cécile Baërd - Maisons

[Actualité artistique]

La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau, critique et professeur d’histoire de l’art

Cécile Baërd, une quête à l’écoute des profondeurs de l’être

Nous ne finirons jamais de nous émerveiller du fait que, parmi nous, certains êtres naissent et demeurent artistes dans une société matérialiste qui ne sait en général applaudir que des histrions ou des imposteurs.

Il faut, pour les rencontrer, ces artistes, se rendre parfois dans des lieux discrets que les médias ne fréquentent guère, comme l’espace-galerie du théâtre de Vanves où, durant le court espace d’un week-end (1-2 décembre), Cécile Baërd avait disposé un ensemble de travaux sur papier sur une paroi qui attirait irrésistiblement le regard.

Les formats étaient petits, la technique très simple – encre de Chine et mine de plomb – et cela suffisait à Cécile Baërd pour plonger le visiteur dans un monde inconnu, son monde à elle.

Cécile Baërd – Maison (2018) – Encre de Chine et graphite sur papier, 32×24 cm

L’artiste est fort économe de ses mots ; citons-la tout de même : « Par mon travail, je veux faire apparaître les connexions dans le cerveau humain, celles qui mettent en relation des éléments se présentant au premier abord comme totalement étrangers les uns aux autres. Éléments que nous nous empressons de placer dans des cases bien établies afin de nous rassurer. Je cherche à révéler certains méandres de l’esprit qui, à l’instar des rêves ou des associations d’idées en psychanalyse, constituent notre humanité. Ma quête est à l’écoute des profondeurs de l’être. »

Les dessins extrêmement précis de Cécile Baërd, ni figuratifs ni abstraits, ne tolèrent pas la description : ils sont au principe de la conscience, ils établissent comme un recul que la phénoménologie appelle la néantisation. Ils manifestent une sorte de doute ontologique.

Alors s’est creusée une distance qu’est venue combler l’intentionnalité de l’artiste. C’est cette distance qui lui permet de voir, elle est lumière au sens où l’entendait Emmanuel Lévinas (dans De l’existence à l’existant) : « La lumière est ainsi l’évènement d’une suspension, d’une époché qui définit le moi, son pouvoir du recul infini et du quant à soi. »

Ainsi s’élabore le projet d’un certain monde, cette lumière oriente l’appréhension du réel et rend signifiant le donné brut. Cécile Baërd recueille une vérité donnée avant le réel. Elle a compris que la fonction de l’art est de mettre en œuvre cette vérité. Elle a dit, ou laissé dire à propos de son travail : « c’est de l’individu dont il est profondément question, avec ses interrogations, ses manques, ses incongruités, sa poésie et sa joie de vivre. »

De la sorte, on comprend mieux qu’il suffit ici que l’artiste soit authentique. En s’exprimant elle-même, en étant fidèle à son a priori existentiel, elle ne pouvait pas ne pas exprimer le réel qui l’entoure comme celui qui est en elle, qui la porte, qui peut-être la heurte, et auquel toute son activité ne cesse de répondre.

Car être soi n’est pas se réfugier dans la solitude, c’est accepter d’être au monde. La création artistique selon Cécile Baërd n’est pas évasion : elle n’a de substance que parce qu’elle est l’œuvre d’une femme qui ne fuit pas son destin. Son authenticité vient de ce qu’elle répond à un appel profond et c’est pour cela que ses mystérieux dessins littéralement nous fascinent.

baerdc.wixsite.com/baerd


Jean-Luc Chalumeau
Critique et professeur d’histoire de l’art
verso.sarl@wanadoo.fr

Illustrations : ©Cécile Baërd

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