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Elisabetta Sirani aux Beaux-Arts de Paris

[Actualité artistique]

La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau, critique et professeur d’histoire de l’art

Connaissez-vous Elisabetta Sirani ?

Les historiens de l’art connaissent évidemment Elisabetta Sirani, ne serait-ce qu’en raison de son magnifique autoportrait du musée Pouchkine : elle avait vingt ans, elle était belle, et n’avait rien à envier du point de vue pictural à Guido Reni, son maître par l’intermédiaire de son père Giovanni Andrea, peintre et marchand.

Mais le grand public n’a souvent jamais entendu parler d’elle, et c’est dommage.

Nous sommes à Bologne au XVIIe siècle, c’est l’heure des Carracci et de l’influence de leur fameux éclectisme qui va jusqu’à Rome. Tel est le thème de l’exposition actuelle aux Beaux-Arts de Paris (jusqu’au 10 avril), sous le titre Le dessin à Bologne, et l’on peut y découvrir, à côté de Carrache, Guerchin et Dominiquin, de très beaux dessins d’Elisabetta Sirani.

Née en 1638, elle avait 13 ans quand l’écrivain ami de la famille Carlo Cesare Malvasia décela son talent exceptionnel et persuada, non sans difficulté, Giovanni Andrea de l’intégrer à son atelier et bientôt de lui en confier la direction en raison de l’arthrose qui l’empêchait de peindre.

En 1658 commença ainsi une carrière fulgurante qui s’arrêta net en 1665. On soupçonna une servante de l’avoir empoisonnée, mais c’est peut-être l’arsenic contenu dans le pigment vert qu’elle utilisait qui lui fut fatal. Elle avait produit 190 tableaux admirés par les Bolonais qui lui réservèrent des obsèques officielles.

Dès 17 ans, elle rédigeait quotidiennement un  journal que Malvasia publia après sa mort. Nous savons de la sorte qu’elle s’absorba entièrement dans son art et dans la formation de femmes peintres au sein de l’atelier qu’elle avait créé pour elles. Volontiers féministe (elle peignit au moins deux versions de Judith et Holopherne), elle n’eut pas de vie amoureuse, d’où sa réputation de vertu. Elle était beaucoup plus cultivée que ses contemporaines, car elle avait notamment lu Les Métamorphoses d’Ovide, les Vies de Plutarque, la Naturalis Historia de Pline, le De Claris mulieribus de Boccace et surtout les Vies de Giorgio Vasari. Elle connaissait et admirait Michel-Ange  (son père possédait des sculptures de la main du maître).

Dans la Bologne réputée baroque, c’est plutôt le classicisme qui l’influença. En témoigne une belle Allégorie de la Fortune, propriété de l’Ecole des Beaux Arts, un lavis de bistre clair et pierre noire. Elisabetta Sirani connaissait l’Iconologia de Cesare Ripa, mais elle s’en était éloignée en représentant son allégorie en pied, en équilibre instable  sur une sphère, et non à mi-corps, mais tout en lui conservant des attributs traditionnels tels que la corne d’abondance.

Elisabetta SIRANI
 (Bologne, 1638 – 1666) 
- Autoportrait avec un page
 – Plume et encre brune, lavis brun tracé à la sanguine
. Acquisition de l’association Le Cabinet des amateurs de dessins de l’École des Beaux-Arts, 2015 
©Beaux-Arts de Paris

L’Ecole des Beaux-Arts a surtout reçu en 2015 l’Autoportrait avec un page, un dessin à la plume, lavis brun sur tracé à la sanguine, qui en dit long sur l’art et la personnalité d’Elisabetta. En comparant ce dessin à l’autoportrait de Saint-Pétersbourg, on constate que c’est bien elle : visage allongé en ovale, nez légèrement aquilin, menton creusé d’une fossette. Ce lavis était sans doute préparatoire pour une toile dont on a perdu la trace ; tel quel, exécuté après un premier tracé à la sanguine, poursuivi avec une plume énergique et un lavis très libre, il rend parfaitement compte de l’idée qu’Elisabetta se faisait d’elle-même.

Artiste, elle était donc à ses yeux au moins l’égale des dames de l’aristocratie, elle pouvait porter une élégante robe à traîne portée par un page. La présence de ce page, à droite, justifie le décalage vers la gauche de la figure parfaitement verticale selon les règles de composition classiques. Elisabetta doit gravir un escalier, elle relève donc sa robe de manière à faire apparaître un très joli soulier à talon et même sa cheville, ce qui est assez osé à cette époque. La manière dont elle soulève sa robe est particulièrement gracieuse et met en valeur ses longs doigts effilés.

Elisabetta Sirani ne s’est pas représentée comme une peintre en train de pratiquer son art, la palette à la main, mais bien comme une femme cultivée, une femme de qualité selon les critères élaborés par Balthazar Castiglione dans son célèbre Livre du courtisan. Elle avait réussi à imposer une image d’elle en « pittrice eroina » selon l’expression du XVIIe siècle italien. Et elle était en effet une héroïne de la peinture que l’on devrait célébrer aujourd’hui autant qu’Artemisia Gentileschi ou Berthe Morisot.

www.beauxartsparis.fr


Jean-Luc Chalumeau
Critique et professeur d’histoire de l’art
verso.sarl@wanadoo.fr

Illustrations : © Beaux-Arts de Paris

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