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Grand(s) Écran(s) galerie Pascal Gabert

[Actualité artistique]

La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau, critique et professeur d’histoire de l’art

À propos de Grand(s) Écran(s) galerie Pascal Gabert

Pacal Gabert et Robert Bonaccorsi ont rassemblé douze artistes (vivants ou disparus) sur le thème « Grand(s) Écran(s) » qui se prête à de multiples approches, depuis celle, nostalgique, de Daniel Authouart décrivant avec sa fameuse précision quasi maniaque le cinéma Max Linder au temps du Dernier Tango à Paris et d’Un homme et une femme jusqu’aux constats plus ou moins désabusés de Joan Rabascall et Ivan Messac sur la prolifération moderne des écrans de télévision (jusqu’au 20 avril).

Daniel Authouart – Max Linder Paris, 2019

Boisrond est présent, ce qui est bien normal puisque ce fils de grand cinéaste a lui-même peint des scènes de tournage ; Rancillac est absent, et l’on peut regretter sa série acide sur le thème de « Cinémonde », mais ce n’est pas grave. Gilles Ghez est là lui aussi, dont on peut dire que la moindre de ses boîtes semble la transposition ironique d’un film, ainsi que Latuner, Liot, Morteyrol, Muriel Poli, Spadari et Thalmann qui tous, à un titre ou à un autre, se sont emparés de l’écran, petit ou grand, qui est la marque la plus significative de l’âge contemporain. Il y a enfin le regretté Jacques Monory, qui est évidemment incontournable car il a été sans conteste le peintre qui a le plus intimement lié sa création picturale au cinéma.

Eric Liot – Mon Oncle, 2018

C’est l’occasion de rappeler à quelle occasion il a explicitement affirmé ce lien essentiel. C’était en 1983, j’avais posé une question à vingt-cinq peintres de la Nouvelle figuration en vue d’une exposition qui aurait lieu à la galerie ABCD-Christian Cheneau l’année suivante sous le titre : « Tel peintre, quels maîtres ? ». Cette question était ainsi rédigée : « Quels sont vos maîtres en peinture ? Accepteriez-vous de les désigner picturalement, c’est-à-dire de les « citer » dans une œuvre qui révélera de manière aussi immédiatement visible que possible vos références picturales ; en somme, le tableau par lequel vous témoignez de ce qui vous concerne directement dans l’histoire de l’art. »

Jacques Monory proposa un grand tableau, Manet-Hawks (huile sur toile, film et photos, 170 x 340 cm) synthétisant le rapport fondamental de sa peinture avec le cinéma, spécialement celui de Howard Hawks. « Dans mon tableau, déclarait-il alors, je crois avoir exactement répondu à la question qui m’était posée. Je n’ai pas un maître, mais beaucoup de maîtres… »

Il poursuivait : « Manet par exemple pour les peintres, et le cinéma. Il faut dire que j’ai passé davantage de temps, dans ma jeunesse, au cinéma que dans les musées. Alors on retrouvera dans mon tableau Orson Welles (celui de Citizen Kane) et des images venues de films comme Scarface. La présence de Manet est attestée par des cartes postales de celle de toutes ses œuvres que je préfère : Le bar des Folies-Bergère. Ce tableau ambigu rend absolument sublime le regard de veau d’une femme. Personne n’a jamais osé une telle sublimation du regard animal d’une femme. C’est le triomphe de la peinture au même titre que Citizen Kane est le triomphe du cinéma. Dans les deux cas, l’art tire de ses  pouvoirs la possibilité d’aller ailleurs. »

Le tableau magistral de Monory va du jaune, à gauche, à son célèbre bleu, à droite, en passant par le rouge. Le tout est traversé par de vrais longs rubans de pellicule cinématographique, dont l’un uniformément bleu. La rencontre du peintre et du cinéma est complète. On peut dire que Monory présente le cas exemplaire d’un peintre dont l’essentiel de l’inspiration est issu du cinéma.

Que le cinéma, à son tour, s’inspire du travail des peintres et les intègre, comme chez Jean-Luc Godard, est une autre histoire. Évidemment non moins passionnante.


Jean-Luc Chalumeau
Critique et professeur d’histoire de l’art
verso.sarl@wanadoo.fr

Illustrations : ©Galerie Pascal Gabert

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