[Actualité artistique]
La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau, critique et professeur d’histoire de l’art
Splendeur et misère d’un grand musée
Après six années de travaux, le musée d’arts de Nantes, imposant édifice conçu par Clément-Marie Josso en 1893, aujourd’hui restructuré par le cabinet d’architectes britannique Stanton Williams qui l’a notamment agrandi de 30% grâce à l’adjonction du « Cube » dédié à l’art moderne et contemporain, apparaît comme un grand musée où l’on retrouve avec plaisir Madame de Senonnes (Ingres, 1814) ou les Georges de La Tour. L’espace central, réservé aux expositions temporaires, était consacré cet été à deux installations de James Turrell : Cherry et First light/Still Light. On y entrait avec quelques difficultés, surtout dans Cherry, car l’obscurité était totale. Au bout de dix minutes, on finissait par percevoir vaguement un peu de couleur. Après tout l’artiste avait prévenu : « Mon travail n’a pas de sujet, la perception est le sujet… » Avec Turrell, le musée entendait sans doute démontrer qu’il est bien dans le coup de la modernité, qu’il peut inviter des vedettes internationales, et qu’il n’est pas voué aux pompiers du XIXe siècle, tel Paul Delaroche, gloire de la monarchie de Juillet et auteur, en particulier, d’une Enfance de Pic de la Mirandole (1842) que l’on comparait à l’époque à une Vierge de Raphaël.
C’est que des pompiers, le musée d’art de Nantes en a beaucoup, et qu’il lui faut bien en montrer quelques uns. Prenez par exemple Jacques Raymond Brascassat, le roi de la peinture animalière qui peignit son Repos d’animaux autour d’un grand chêne la même année que Delaroche son Enfance de Pic. Ces vaches et moutons paisibles enchantaient le collectionneur nantais Jacques Urvoy de Saint-Bédan. Son enthousiasme était grand et ses achats nombreux, et il ne manqua pas d’en faire don à sa ville natale. Si bien que le musée de Nantes se trouve aujourd’hui à la tête de treize tableaux de Brascassat ! On comprend que les responsables aient cherché un antidote. Ils l’ont trouvé au Fonds National d’Art Contemporain (FNAC) qui leur prête depuis 1999 une pièce Sans titre de Maurizio Cattelan : Autruche mâle naturalisée (1997). L’autruche enfonce sa tête dans le sol du musée juste devant le Brascassat. On peut parler d’un effet de contraste !
Mais tout de même, nous sommes dans un musée, rénové de belle façon, voué à l’art et à la beauté peut-on supposer. Les responsables sont-ils bien conscients que M. Cattelan n’est pas un artiste et que par conséquent ce qu’il fait n’est pas de l’art ? Je le cite : « Je ne me considère pas comme un artiste. L’art, c’est juste un boulot que j’ai choisi parce qu’on m’a dit qu’on voyageait beaucoup, qu’on y gagnait de l’argent et que les filles vous tombaient dans les bras… » (Le Figaro, 15 octobre 2007). Dans le Guide des collections, Arielle Pélenc fait de louables efforts pour inscrire Maurizio Cattelan dans la tradition de Manzoni à Broodthaers qui distille le doute quant à la nature de l’acte artistique. L’autruche illustrerait donc l’expression « faire l’autruche », un déni de la réalité que l’on ne veut pas affronter. « Cette image invite le spectateur à interroger, sur un mode humoristique, sa propre difficulté à regarder ce qui l’entoure, notamment l’art. » Vraiment ? C’est ainsi que le musée d’arts de Nantes veut aider ses visiteurs à regarder l’art s’ils éprouvent des difficultés ? Allons donc ! Maurizio Cattelan est, paraît-il, très sympathique, mais il n’est de son propre aveu qu’un pitre profitant au maximum des failles d’un système international de l’art dit contemporain reposant sur le snobisme et l’inculture. Tomber dans son piège, se faire son complice, ce n’est pas une bonne action de la part d’une institution devenue de ce fait irresponsable.
Jean-Luc Chalumeau
Critique et professeur d’histoire de l’art
verso.sarl@wanadoo.fr
Illustration : Adobe Stock
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