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Pierre Marie Lejeune à la galerie Valérie Bach

[Actualité artistique]

La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau, critique et professeur d’histoire de l’art

Pierre Marie Lejeune à Bruxelles

Le sculpteur Pierre Marie Lejeune occupe les espaces de la Patinoire royale/Galerie Valérie Bach à Bruxelles du 25 janvier au 23 mars.

Bonne occasion de prendre la mesure de cet artiste fondamentalement contemporain par ses formes neuves et par l’audace de ses procédés techniques incluant l’acier, le miroir et la lumière électrique, mais qui est aussi l’héritier direct des grandes avant-gardes modernistes du début du XXe siècle qui abolirent toute idée de narration ou d’illusion pour ne plus offrir au regard que l’objet esthétique en soi.

C’est ainsi que sa Console Omega n’est pas vraiment une console : cette pièce en acier recouvert de peinture epoxy gris dessinant le signe omega, fétiche de l’artiste, habité par un miroir-verre feuilleté éclaté illuminé par du courant électrique 220 volts, ne s’adresse ni à la volonté du spectateur pour l’avertir, ni à son intelligence pour l’instruire.

Pierre Marie Lejeune – Console Omega

Elle ne montre qu’elle-même, et n’évoque rien du réel, pas même ce qu’on appelle habituellement une console, sinon secondairement. Car elle ne prétend nullement imiter le réel : si elle s’en inspire, de ce réel, c’est pour se mesurer à lui et le refaire.

En signifiant, l’objet esthétique signé Pierre Marie Lejeune n’est jamais au service du monde, mais au principe d’un monde qui lui est propre. Ce monde de l’objet esthétique, nous le nommons par celui de son auteur, soulignant de ce fait la présence d’un style, c’est-à-dire une manière singulière de traiter le sujet, de faire servir le sensible à une certaine qualité d’expression.

L’univers de Pierre Marie Lejeune pourrait être défini comme celui d’Einstein : il est à la fois fini et illimité car il est composé par des objets esthétiques ayant la propriété d’être « ouverts » à leur manière, c’est-à-dire davantage en « intension » qu’en extension, ou mieux encore : en profondeur.

Totalité finie mais illimitée, le monde de Pierre Marie Lejeune est ce que nous disent à la fois sa forme et son contenu, éveillant en nous la réflexion, mais aussi le sentiment d’un achèvement, qui est fort proche de l’admiration.

En liant intimement les propositions formelles de Pierre Marie Lejeune et leur auteur, ai-je défini l’objet esthétique comme une subjectivité, un Dasein aurait dit Heidegger ?

Le projet fondamental du philosophe constituait le sujet comme transcendance et dévoilait le monde, il pouvait se spécifier en projets singuliers révélant chacun un monde propre. Avec lui, il est possible de parler du monde d’un sujet aussi bien que d’un monde de l’objet esthétique. Cela nous suffit : exprimer, c’est pour l’objet esthétique tel que le réalise Pierre Marie Lejeune, se transcender vers une signification qui n’est pas une signification explicite assignée à la représentation (Lejeune n’est en rien un artiste figuratif), mais une signification plus fondamentale qui projette un monde, ou mieux, une « atmosphère de monde » que nous reconnaissons dès qu’apparaît l’une de ses œuvres. Chez lui, fait passionnant, l’objet esthétique peut être traité en quasi-sujet parce qu’il est avant toute chose l’œuvre d’un auteur : un « sujet » apparaît toujours en lui.

En près de quarante ans, cet artiste a donc su accomplir un projet singulier dévoilant un monde propre. Peut-être est-ce évident, mais l’on m’accordera que c’est rare.

Pierre Marie Lejeune expose également à la Maison Elsa Triolet Aragon à Saint-Arnoult-en-Yvelines du 2 février au 12 mai.

galerievaleriebach.com


Jean-Luc Chalumeau
Critique et professeur d’histoire de l’art
verso.sarl@wanadoo.fr

Illustrations : © La Patinoire Royale / Galerie Valérie Bach

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