[Actualité artistique]
La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau, critique et professeur d’histoire de l’art
Les sacs à malices de Véronique Bigo
Venue du Nord, mais aujourd’hui marseillaise d’adoption, Véronique Bigo a déjà investi tous les musées marseillais de manière à y dialoguer, par le moyen de tableaux spécialement conçus pour l’occasion, avec les tableaux et objets qui y sont présentés. Elle récidive cet été à Aix-en-Provence dont la totalité des lieux d’art lui sont ouverts jusqu’au 20 octobre (à l’exception de l’atelier de Cézanne : 22 septembre).
Le musée du Vieil Aix, le musée des Tapisseries, les Jardins du Pavillon Vendôme, le musée Granet, la Bibliothèque Méjanes et la galerie Vincent Bercker permettent à Véronique Bigo, l’ artiste la plus imaginative de la deuxième génération de la Figuration narrative, de manifester à nouveau la puissante originalité de son talent.
Sa méthode est restée la même : au musée Granet, elle s’est arrêtée à un portrait de Riquetti, comte de Mirabeau, la gloire de la ville. Le député du tiers-État est représenté par Honoré Boze (un honorable peintre provençal de la fin du XIXe siècle, qui avait fait les Beaux-Arts à Marseille). Boze l’a traité sobrement vêtu de noir, comme il convient, avec des chaussures à boucle d’argent, dans un cadre néo-classique. Véronique a noté quelques détails à ses yeux importants, et elle en a fait sept petits tableaux qu’elle a accrochés autour du tableau de Boze : un escarpin bien sûr, un détail du carrelage noir-blanc, un manuscrit. La dominante du tableau étant le noir et blanc, elle en déduit des monochromes. Et puis, à droite, un détail qui n’est pas dans le tableau mais qui constitue le commentaire pictural essentiel de l’artiste. Véronique est peintre, et elle est femme. Elle sait que Honoré Boze avait une épouse (réputée fort belle d’ailleurs) : cette épouse ne pouvait pas ne pas avoir de sac à main. C’est ce dernier qu’elle imagine in fine, peint en noir sur toile écrue selon son habitude.
Et ainsi de suite. Dans l’atelier de Cézanne on découvre « Le sac de Madame Cézanne » car Hortense en possédait nécessairement un dans ses déplacements entre Aix et Paris. À vrai dire, on ne peut en voir qu’une partie, car il est derrière le Carré blanc sur fond blanc emprunté à Malévitch (dont on sait qu’il n’aurait rien été sans l’apport de Cézanne), lequel Carré ne laisse voir que des morceaux de Baigneuses ou de pommes.
Bref : partout Véronique Bigo donne des leçons de peinture sans prétention, accompagnées des fameux sacs qui donnent leur nom à cette réjouissante série d’expositions : Sacs à malices est un parcours que tous ceux qui passeront par Aix cet été ne devront évidemment pas rater.
Jean-Luc Chalumeau
Critique et professeur d’histoire de l’art
verso.sarl@wanadoo.fr
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