La synthèse d’un époustouflant travail de recherches sur l’oeuvre testament de Nicolas Poussin !
Nous avons eu la chance de rencontrer Guy de Compiègne à propos de son nouvel ouvrage sur Nicolas Poussin, L’œuvre inachevée, qui porte sur le dernier tableau du maître, Apollon amoureux de Daphné conservé au Louvre.
Guy de Compiègne est un architecte amoureux de Poussin, et l’auteur de trois livres sur l’artiste : Le chemin du regard, Nicolas Poussin et les maîtres du jardin japonais ; L’ambiguïté recherchée et L’œuvre inachevée. Rencontre.
Architecte autant qu’expert du travail de Nicolas Poussin : quel est le lien entre ces deux univers ?
L’architecte est par nature un homme de structure et c’est ainsi que j’approche la peinture de Nicolas Poussin. Je vois derrière chaque tableau un assemblage rigoureux de différents plans de lecture qu’il fait coexister magistralement. C’est une problématique que l’architecte connaît bien dans sa recherche d’une harmonie entre forme, fonction et contexte. À force d’étudier les tableaux de Nicolas Poussin depuis trente ans, j’en suis venu modestement à m’inspirer de sa manière : une approche rigoureuse de chaque plan et une harmonie du tout qui reste essentiellement dans notre subconscient. Finalement deux de mes intérêts finissaient par dialoguer ensemble.
D’où vient votre passion pour Nicolas Poussin ?
D’une frustration face aux textes évoquant le génie de Nicolas Poussin sans en donner le début d’une explication. J’ai donc progressivement déchiffré son œuvre en commençant par un sujet que je maÎtrise par ma formation : la partie géométrique. Si Nicolas Poussin mentionne qu’il n’avait rien laissé au hasard, il devait bien s’être confronté au choix de ses formats car n’est-ce pas une des premières décisions qu’un artiste doit prendre ? Ceci m’a permis de suivre le fil de ses histoires car la géométrie favorise toujours un chemin du regard que Poussin semble emprunter. C’est d’ailleurs là-dessus que porte mon premier livre, Nicolas Poussin et les maîtres du jardin japonais. Je suis ensuite rentré dans les tableaux, dans leur sens et leurs secrets, ce qui fut l’objet de mon second livre pour finalement me plonger dans la lecture de son dernier tableau Apollon amoureux de Daphné.
Ce tableau, plein de surprises, donne un livre ; le travail d’une année de recherche de petits éléments et de ses secrets.
Quelle différence entre vous et un historien de l’art ?
L’historien est un universitaire pour qui le fait historique prime et l’architecte est un homme de l’art travaillant sur le visuel. Les deux cherchent à donner un sens aux choses par des méthodes différentes mais complémentaires. Parfois il me semble que l’écrit de l’historien est si pointu que le point de vue disparaît, enseveli sous des notes de bas de pages. J’ai donc fait le choix de ne pas en mettre et de ne raconter que ce qui était sous mes yeux, cela ne veut pas pour autant dire que j’ignore le travail laborieux des historiens de l’art, bien au contraire !
Comment avez-vous procédé pour vos recherches ?
Les historiens, en l’absence d’archives, évitent de s’approfondir sur son lieu de naissance et laissent un grand vide dans la biographie du peintre, or Poussin choisit significativement comme décor pour son ultime tableau un paysage de la Normandie gravé dans sa mémoire, qu’il n’a pas revu depuis trente ans. Il m’a semblé nécessaire d’aller observer méticuleusement ce que Poussin pouvait y avoir vu et qui serait toujours sous nos yeux aujourd’hui. Certaines pistes m’ont mené au plan terrier représentant Villers, le village de naissance de Poussin, 50 ans après sa mort ; quant aux Andelys, sa topographie et ses monuments recélaient de nombreuses informations qui ne semblaient pas avoir été considérées par mes prédécesseurs. Une visite à Rome s’est ensuite imposée pour retrouver les sculptures ayant pu servir de modèles.
Plongeons ensemble dans ce dernier tableau : pourquoi ce thème ?
Contrairement à beaucoup de peintres où tout reste en surface, il est nécessaire d’aller au-delà de l’aspect esthétique – et quelque peu rébarbatif – du premier contact avec l’œuvre de Nicolas Poussin pour pénétrer sa peinture.
Poussin nous dit qu’il recherchait « la délectation de l’œil » or l’œil, comme l’esprit, n’aime pas rester en place. Contrairement au mouvement baroque qui entraîne notre regard à la surface de l’œuvre, le mouvement chez Poussin ne se génère pas « sous » nos yeux mais « par » nos yeux lorsque les plans de lecture se mélangent dans notre esprit. Une métamorphose d’Ovide se superposera ainsi à un plan personnel car, comme Montaigne, Poussin se regarde, s’auto-analyse et cherche des résonances entre sa vie et l’Antiquité.
Le thème de ce dernier tableau, Apollon et Daphné, a été peint et repeint. Pourtant ce tableau, mélancolique, est loin d’être fidèle à l’image du désir que tout le monde connaît. Une sculpture à Rome, utilisée par Poussin comme modèle pour le père de Daphné, Pénée, m’a mis sur la piste. Il s’agit de Marforio, une des cinq statues parlantes par lesquelles les romains exprimaient un mécontentement en logeant un billet dans la bouche de ces sculptures. En allant chercher chez Ovide ce que Pénée raconte à Daphnée on retrouve explicitement ce que Poussin reprochait à sa femme : ne pas lui avoir donné d’enfant à qui léguer ses œuvres, et surtout son savoir.
Pourquoi dites-vous que ce dernier tableau est un testament ?
Sa composition circulaire évoque un sarcophage ouvert posé dans un paysage de Normandie, comme on pouvait en trouver dans la campagne romaine. Il m’a semblé que si ces tombes romaines pouvaient évoquer le mort par une frise, Poussin souhaitait probablement en faire de même pour nous léguer ici « son » histoire.
Nicolas Poussin a une forte envie de partager mais il se cache pudiquement derrière sa peinture et refuse de s’expliquer ou de commenter une peinture qui seule doit pouvoir s’exprimer. Il est pourtant drôle, souvent philosophe et n’hésite pas à se mettre à nu, alors pourquoi ne pas aller à sa rencontre en lisant ce livre ?
Guy de Compiègne
24,1 x 17,2 cm
112 pages
Couverture souple à rabat
Éditions du Varulv – Dépôt légal mars 2018
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