[Actualité artistique]
La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau, critique et professeur d’histoire de l’art
Arezki, ou l’unité d’un monde
Arezki expose pour la septième fois galerie Pascal Gabert (11 bis rue du Perche, 75003, jusqu’au 29 juin) et le titre de cette exposition de la maturité d’un peintre d’exception se limite à un mot : Pan.
C’est qu’Arezki, né en 1955 à Ittourar, un village de Kabylie où il se souvient avoir gardé les moutons, ne fait pas par hasard référence au dieu de la Nature apparu en Arcadie, protecteur des bergers et des troupeaux, qui en était venu à incarner le pouvoir générateur de l’Univers. « Invoquer le dieu Pan pour célébrer le souffle effronté qui ranime les sens, écrit-il, mais aussi converser avec les rêveries cosmogoniques du jeune berger que je fus… » Il en résulte une trentaine de tableaux réalisés à la peinture acrylique sur toile, tous très récents, qui frappent d’abord par leur unité. Unité thématique, sans doute : beaucoup de jeunes filles dans des robes diaphanes, symboles de beauté (Pan, La balade, Echassiers guidant une jeune aveugle…) ou même délicatement nues (Nocturne célébration) mais ces images procèdent surtout d’une autre sorte d’unité, par laquelle l’exprimé atteint à la figure d’un monde.
Nous savons qu’il n’y a d’expression que d’une subjectivité, et nous avons appris à identifier le monde de l’objet esthétique et le monde de l’auteur. La cohérence de ces œuvres aux savantes tonalités sombres et mates traversées d’éclairs de lumière provient de la cohérence d’un caractère. Arezki n’applique pas une doctrine : pur peintre, il se laisse guider par le fait qu’il y a une métaphysique vivante en tout artiste. Peindre est ici une manière d’être au monde qui se révèle dans un comportement. Chez lui, chaque tableau, quel que soit son sujet apparent, exprime avec force le monde de l’artiste, lui donne à la fois volume et unité, et peu importe que certaines œuvres se présentent à nous comme des énigmes alors même qu’une piste paraît donnée par le titre : Fragment d’un songe de Nicolas Poussin ou Sous le volcan (A Malcolm Lowry) par exemple.
« Pour ce qui est de la peinture, écrit encore Arezki, vous savez, c’est toujours la même chose : tenter de renouveler, de mieux appréhender et de rendre évidente la raison d’être, l’interdépendance, la réciprocité et la complémentarité entre éléments, formes, composition, harmonie chromatique – et l’esprit qui les porte. Cet esprit est à mon sens le sujet même de l’œuvre. » L’artiste est donc parfaitement conscient de ce principe supérieur d’unité qui vient à l’objet esthétique de ce qu’il est capable d’expression. C’est-à-dire de ce qu’il signifie non seulement en représentant (ici La Messagère, là Saltimbanque et oiseaux) mais, à travers ce qu’il représente, en produisant sur qui le perçoit (vous et moi) une certaine impression, en manifestant une certaine qualité que le discours ne peut traduire, mais qui se communique en éveillant un sentiment. Le sentiment d’intense plaisir esthétique éprouvé par qui aime la peinture. Avouez que cela devient rare et qu’il serait dommage de ne pas en profiter.
Jean-Luc Chalumeau
Critique et professeur d’histoire de l’art
verso.sarl@wanadoo.fr
Illustrations : ©Galerie Pascal Gabert
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