[Actualité artistique]

La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau, critique et professeur d’histoire de l’art

Vestiges d’une pensée tactile

Le Radar à Bayeux (Calvados) est un « espace d’art actuel » qui ne se dit pas « contemporain » sans doute pour éviter toute méprise. Né en 2007, il n’a jamais suivi le mouvement général de provocation et de dérision qui a trop souvent été placé sous le label « AC ». Il a toujours présenté le meilleur de la création plastique de notre temps avec discernement, ce qui lui vaut une réputation dépassant largement le cadre régional.

Placé aujourd’hui sous la responsabilité de Manuela Tetrel, il mérite plus que jamais le nom de « radar » : c’est bien en détecteur de tendance de fond bien représentée par des individualités talentueuses qu’il nous invite à découvrir (jusqu’au 15 septembre) ces passionnants « vestiges d’une pensée tactile ».

Les quatre artistes sont nés à la fin des années 70 ou au début des années 80, ils ont atteint une première maturité. Leurs démarches respectives se croisent et se répondent autour de la notion d’empreinte, chacune étant susceptible d’accueillir silencieusement l’idée de beauté.

Julien Discrit, Akira Inumaru, Pascal Journier Trémelo et Thomas Tronel Gauthier composent une exposition originale qui, selon la commissaire Manuela Tetrel, « alimente des spéculations, envisage des imaginaires, avec la possibilité de reconstruire des mondes. »

Retenons quatre œuvres exemplaires. De Julien Discrit (né en 1978, vit et travaille à Paris), sa série Pensées (Résine polyuréthane, mousse P.U., peinture acrylique 147 x 91,2 x 9 cm).

Julien Discrit - Pensées
Julien Discrit – Série Pensées © Courtesy galerie Anne-Sarah Benichou – Paris

L’artiste a plongé la résine dans un lit de silice, de manière à faire ressortir les moulages du ruisseau et faire apparaître le réseau des algues, le creux des sillons lors du passage de l’eau. La vie aquatique a été figée dans la cire. Le passage de l’horizontalité à la verticalité a conféré à la forme un statut de stèle, brouillant les pistes sur l’état de la matière et la provenance des motifs.

De Akira Inumaru (né en 1984 à Ibaraki au Japon, vit et travaille entre Rouen et Paris), son Arc-en-ciel des plantes, distillation solaire (mix-média sur papier, brûlure du soleil, colorant végétal, 200 x 73 cm).

Akira Inumaru - Arc-en-ciel des plantes
Akira Inumaru – Arc-en-ciel des plantes, distillation solaire © Courtesy galerie AREA- Paris

L’artiste a récupéré une vieille collection de végétaux qu’il a disposée sur de hautes bandes de papier qu’il a soumises au rayonnement solaire par le moyen d’une loupe. Le feu a laissé son empreinte sur le papier, frôlant puis perforant sa peau, les gestes de l’artiste pouvant être assimilés à ceux d’un chimiste doublé d’un herboriste ayant choisi des plantes tinctoriales. Ainsi, la garance a donné un rouge éclatant et l’oseille un vert tendre…

De Pascal Jounier Trémelo (né en 1976, vit et travaille à Rennes), Clinker galaxie 2019 (ciment, sable, pigments, fibres textiles, plâtre, acier. Dimensions variables sur structure en acier soudé).

Pascal Jounier Trémelo - Clinker galaxie 2019
Pascal Jounier Trémelo – Clinker galaxie, 2019 ©Pascal Jounier Trémelo

L’installation oppose la solidité du matériau à une collection de formes malléables semblant inachevées, en équilibre sur la structure. L’artiste a suspendu le processus de transformation pour révéler à la fois l’énergie des matériaux et leur inertie. Les moules dont sont issues les sculptures de Clinker galaxie proviennent d’objets fonctionnels. Ces objets creux sont devenus réceptacles, ils ont accueilli la matière pour générer des formes nouvelles.

De Thomas Tronel Gauthier (né en 1982, vit et travaille à Paris), L’île engloutie – 3 coffrets (3 coffrets bois, silicone gris, résine blanche, 27 x 21,5 x 16 cm).

Thomas Tronel Gauthier - L’île engloutie
Thomas Tronel Gauthier – L’île engloutie – 3 coffrets ©Thomas Tronel Gauthier

L’île engloutie restitue la cartographie du relief volcanique de la Polynésie. Les terres escarpées sont fossilisées dans le silicone. En miroir, surgit en creux la forme blanche, immaculée, d’un cratère. L’île engloutie convoque l’imaginaire, elle évoque la découverte d’un trésor.

Quatre artistes de l’empreinte, quatre artistes du temps solidifié, quatre explorateurs des vestiges d’une pensée tactile qui enchantent le visiteur.

www.le-radar.fr

Jean-Luc Chalumeau, critique d'art et professeur
Jean-Luc Chalumeau
Critique et professeur d’histoire de l’art
verso.sarl@wanadoo.fr

Illustrations : ©Le Radar

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