Nous avons rencontré la talentueuse artiste et comédienne Charlotte Le Bon dans le cadre du solo-show que lui consacre le salon Docks Art Fair à Lyon. Elle nous parle de ses dessins, ses sources d’inspiration, ses acquisitions : fraîcheur garantie !
Bonjour Charlotte, Pickle Melancholia (la Mélancolie du Cornichon) est ta deuxième exposition ; tu as une factory, un atelier à Montparnasse, c’est bien ça ?
Oui, deuxième exposition et une factory en ligne. L’atelier ne m’appartient pas – j’adorerais mais pas du tout – c’est l’atelier Idem, une gigantesque imprimerie de lithographies mythique, qui existe depuis un siècle. Le patron des lieux m’aide beaucoup dans mon parcours et me permet d’y travailler. Mais les œuvres de l’exposition Pickle Melancholia n’ont pas été produites chez Idem.
Les œuvres exposées ici, à Docks Art Fair, sont récentes, créées en 2017 pour cette exposition ?
Exactement. Il y a 3 mois j’étais à Los Angeles et j’avais décidé volontairement de provoquer le vide, suite à un très long tunnel de tournages. J’avais envie de me reposer et de me retrouver parce que je m’étais un peu perdue dans tout ça ; je n’arrivais même plus à trouver le plaisir de jouer, j’avais vraiment besoin de me ressourcer. Et je me suis faite happer par une espèce de mélancolie très étrange, qui pour moi est symptomatique de la ville de Los Angeles.
À Los Angeles il y a deux trucs qui cohabitent : cette mélancolie qui fait que tu peux tomber dans une sorte d’inertie paralysante – je n’arrivais plus à dessiner, à lire, à rien faire – et en même temps une multitude d’occasions de réaliser de très grandes choses.
J’ai un peu l’impression que ce sont les fantômes de rêves déchus qui planent sur la ville, car il y a beaucoup de monde qui se rend à LA en pensant pouvoir y refaire sa vie. Bref, je me suis faite happer par ces fantômes alors j’étais dans un désert créatif assez douloureux, que je ne tournais pas et qu’il n’y avait rien qui me nourrissait. Ça n’a pas duré très longtemps, peut-être 2 mois, mais j’y ai perdu tous mes repères !
Et c’est à ce moment-là que Patricia Houg (ndlr : la directrice de Docks Art Fair) te contacte ?
Patricia m’a appelée et m’a dit « j’aimerais que tu participes à Docks Art Fair 2017 dans le cadre de la Biennale de Lyon. Les Mondes Flottants, ça m’a fait penser à toi ». Elle m’a proposé de reprendre des dessins de ma première exposition One Bedroom Hotel On The Moon, de rééditer certaines oeuvres, d’en produire peut-être d’autres.
L’idée de replonger dans du connu m’a étouffée. J’ai alors été complètement folle : alors que j’étais en plein désert créatif, je lui ai annoncé que j’allais produire 40 pièces ! Elle m’a demandé si j’étais sûre ; je lui ai répondu que j’allais faire une toute nouvelle production rien que pour cette exposition.
Sa réponse ? « OK, vas-y, bosse !». Je me suis trouvé une chambre à Los Angeles, que j’ai dédiée à cela. Je me levais tous les matins à 7h30, prenais mon café et allais bosser jusqu’à 18h00, et je faisais ça tous les jours, parfois même le week-end.
Les premiers jours ont été difficiles, ça a pris du temps. Au début je voulais me pendre ! Je me suis dit que je n’allais jamais y arriver, que c’était pourri, les dessins étaient hideux… Et j’ai parlé à quelqu’un qui m’est très cher et m’a conseillé de laisser de côté toutes les idées complexes que j’avais en tête pour ne retenir que les plus simples, que ça allait venir. Il faut commencer petit pour aller vers le plus grand, et le premier dessin que j’ai fait c’est celui-là :
Ces quelques jours ont été une façon de te retrouver, d’objectiver, mais aussi de faire passer des messages ?
Quand je crée j’essaie de ne pas trop penser à faire passer un message, car cela induit qu’on pense au public ; on peut être manipulé et faire des choses qui sont probablement moins authentiques.
Pour moi il y A, B et C : A le cerveau, B le support et C le public : ce qui se passe entre A et B ne concerne que A et B et ce qui se passe entre B et C ne concerne que B et C.
Ces 42 dessins-là sont vraiment ce que j’étais il y a 2 mois, et c’est encore très proche. C’est pour cela que je suis assez contente de ce qu’il y a sur les murs de Docks Art Fair, car c’est très personnel, même si les gens n’aiment pas.
C’est justement la question que je voulais te poser : comment réagis-tu aux critiques de ces œuvres, si personnelles ?
Lorsqu’on ressent le besoin de défendre quelque chose, c’est qu’au fin fond de soi on ressent quelque chose qui cloche peut-être. C’est comme la sexualité, les mecs qui se fâchent dès qu’on parle d’homosexualité c’est toujours louche ! Quand tu es bien avec ta sexualité, il n’y a pas de problème. Et bien c’est la même chose pour mes dessins. Pour One Bedroom Hotel On The Moon j’aurais pu être choquée car il y avait des vieux dessins, que je n’assumais plus trop mais que je voulais juste sortir et montrer, mais pour ceux-là c’est différent. Si les gens n’aiment pas, ce n’est vraiment pas grave parce que j’assume vraiment tout ce qui est sur les murs.
Quelles sont tes sources d’inspiration ? JR, Keith Haring… ?
JR a été pour moi une sorte de parrain, il y a 4 ans. À 25 ans j’ai beaucoup tourné à la sortie de la météo, pendant 3 ans non-stop. Je l’ai rencontré à 28 ans ; il m’a dit que c’était dommage d’avoir arrêté le dessin. Je l’avais en effet mis de côté, concentrée sur ma carrière d’actrice. Malgré tout je sentais bien qu’il me manquait quelque chose et je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. C’est lui qui m’a donné un coup de pied au cul, pour que je replonge là-dedans.
De nombreux artistes m’inspirent plastiquement. Je n’aime pas tout ce que Keith Haring a fait en termes d’images mais ce que j’apprécie particulièrement chez Keith Haring, c’est cette frénésie avec laquelle il travaillait, cette urgence, comme s’il connaissait déjà son destin.
J’aime aussi cette décomplexion avec laquelle il bossait : il se laissait aller par le mouvement qui dictait le reste du dessin, pour un résultat tellement identifiable et fort ! C’est quelque chose qui m’impressionne. Il a fait un petit livre que j’adore, Manhattan Penis Drawings : que des dessins de pénis. Il est allé dans plein d’endroits différents à Manhattan, illustrés par un dessin de pénis, avec pour chacun un renvoi précisant le nom de la rue ou du quartier… Je trouve ça génial.
Magritte m’inspire également, depuis toujours. Et David Shrigley, un artiste anglais que j’apprécie particulièrement, qui lui aussi a une démarche hyper décomplexée avec des dessins qui s’apparentent à des dessins d’enfants, alors qu’il est sorti diplômé d’une très grande école d’art, la Glasgow School of Art de Londres.
Il peint et dessine comme une merde et j’adore ce qu’il fait ! Parce que cela permet d’être beaucoup plus décomplexé et de produire beaucoup plus, sans la contrainte de la perfection ou de l’idée de la beauté. À chaque fois que je suis dans un vide créatif je plonge le nez dans un des bouquins de David Shrigley et ça repart.
Qui d’autre ? David Hockney ou encore David Lynch. Ce que j’aime beaucoup avec David Lynch c’est que c’est très dark, et qu’il était peintre avant d’être cinéaste. Quand on le voit il est très lumineux, dans la méditation transcendantale, la paix intérieure, et pourtant ce qu’il fait est darkissime, et ça me fascine. Ce n’est pas parce que tu fais de l’art noir que tu es nécessairement noir toi-même, l’art est aussi un exutoire !
Es-tu toi-même collectionneuse, as-tu déjà acheté aux enchères, sur Internet, en galerie ?
J’ai des David Shrigley ! J’ai acheté une sérigraphie à la librairie de la galerie Yvon Lambert à Paris, une autre œuvre acquise à la Anton Kern Gallery à New-York, qui est un original pour le coup.
J’ai également une photo de Douglas Kirkland que j’aime beaucoup, une sublime photo de la dernière séance de Marylin Monroe dans les draps blancs ; c’est ma première œuvre d’art, un gigantesque portrait de Marylin qui trône dans mon salon.
As-tu des conseils pour ceux qui hésitent à acheter de l’art ? Comment faire, où aller, pourquoi « investir » dans une œuvre ?
Il y a 10-12 ans j’aimais déjà le travail de David Shrigley, qui n’était pas du tout au niveau où il est aujourd’hui. Je regrette de ne pas avoir acheté son travail à l’époque ! J’aimais déjà ce qu’il faisait mais je ne pensais pas en avoir besoin dans ma vie, or les coups de cœur ça ne s’invente pas. Donc il faut se renseigner, acheter… et surtout ne pas trop critiquer les prix.
Lorsque j’ai commencé à vendre en ligne les premières sérigraphies de mes dessins, des éditions entre 20 et 40 exemplaires vendues à 180 EUR, certaines personnes m’ont critiquée, alors que c’est du boulot, la sérigraphie, le papier, la fabrication se paient aussi…
Merci Charlotte et bravo pour cette exposition et votre travail !
Avant d’être Miss Météo sur Canal+ et l’actrice que nous connaissons, Charlotte Le Bon, née à Montréal en 1986, se lance d’abord dans des études artistiques au Canada et obtient un DUT en arts plastiques.
Si elle abandonne rapidement sa première vocation pour se lancer dans sa carrière de mannequin puis de présentatrice TV et actrice, elle renoue avec sa vocation d’artiste en participant au projet Inside Out de l’artiste JR en 2011. Ce dernier, qu’elle considère comme son parrain (lire l’interview ci-dessus) est celui qui l’a encouragée à poursuivre l’art et le dessin.
Charlotte Le Bon présente son travail pour la première fois en 2016 à Paris, lors d’une exposition organisée par la galerie Cinema, One Bedroom Hotel On The Moon.
L’exposition Pickle Melancholia de Charlotte Le Bon est visible à Lyon du 16 au 20 septembre 2017, puis du 28 septembre au 14 octobre à la Galerie Item à Paris. Réunissant 42 pièces réalisées en l’espace de 3 mois à Los Angeles, cette exposition est selon Charlotte Le Bon beaucoup plus personnelle et proche d’elle. Courrez-y et rendez-vous sur son site pour y commander une sérigraphie !