[Actualité artistique]
La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau, critique et professeur d’histoire de l’art
Italiens de Paris
Sous le titre Moderato Cantabile, dix artistes italiens vivant et travaillant à Paris sont réunis jusqu’au 15 novembre par la galerie Grand E’terna (liste ci-dessous).
Peintres, sculpteurs graveurs et photographes proposent deux œuvres chacun, plutôt de petit format car la galerie n’est pas grande. Ils ont tenu à être accompagnés par quatre de leurs confrères disparus depuis leur dernière exposition de groupe : Boni, Maselli, Storel et Cremonini.
Dominique Fernandez, dans sa préface, rappelle combien sont importants, depuis François 1er, les courants artistiques allant des grandes cités italiennes vers Paris, et combien Rome ou Florence ont compté et comptent encore pour des artistes français. Il ne peut envisager de commenter tous les exposants, qui tous présentent un intérêt particulier, et moi non plus ici, faute de place.
Deux participations me paraissent cependant bien résumer l’esprit de l’exposition : Leonardo Cremonini parmi les hommages et Sergio Birga avec ses travaux très récents.
Une remarquable toile de jeunesse de Cremonini attire le regard au sous-sol : l’artiste avait 26 ans, il cherchait encore sa voie en 1951, mais de ces formes minérales tendant vers l’organique se dégage une impression de force extraordinaire. On voit bien que le jeune peintre abstrait va bientôt basculer dans un type de figuration qui va s’épanouir dans les années 60, et dont un bel exemple est présent au rez-de-chaussée. Il s’agit de L’ombre chaude, une huile de petit format de 1966 (73 x 50 cm) qui fait partie des scènes de plage dans lesquelles le talent spécifique de Cremonini s’est particulièrement affirmé. Une femme est assise dans une buvette installée sur le sable. Elle attend visiblement quelqu’un. C’est un homme, qui a laissé sa veste sur le dossier de la chaise qui est en face de la femme. L’objet du désir est absent. A côté d’elle, un gamin joue, mais elle ne lui prête aucune attention. Au contraire, elle détourne la tête : sa pensée est ailleurs. On pense aux Plafonds de la plage, que Cremonini peindra deux ans plus tard. Encore une opposition entre un principe d’immensité et de liquidité (la mer visible au loin) et un réseau de relations tout juste suggérées entre la réalité et le désir.
Le florentin de Paris Sergio Birga est revenu à sa cité natale en 2017 : il en a tiré deux tableaux qui manifestent une évolution intéressante. En tant que représentant du courant de la pittura colta (« peinture cultivée »), Birga avait excellé au cours des années 80 dans des compositions qui associaient des sites de Florence, par exemple des portes, à des citations précises de célèbres peintures de la Renaissance (par exemple le Massacre des Innocents par Raphaël : Porte au massacre des innocents, 1986, 114 x 146cm). Commentant un autre tableau de cette série, La Porte étroite (1983), Birga évoquait Poussin parlant du dessin comme « probité de l’art » et il ajoutait : « Pour accéder à cette probité, il faut passer par l’initiation, la porte étroite de l’étude et du métier, sans céder aux chants de la facilité des sirènes du vieux mythe moderniste… » Eh bien, en 2017, il y avait longtemps que Birga était passé par la porte étroite et qu’il pouvait traduire des vues de Florence avec une nouvelle facture, plus libre que naguère. La touche a acquis une grande aisance à l’intérieur de compositions qui restent strictement fidèles à ce qu’a vu le peintre.
Ainsi, de Cremonini à Birga, Moderato cantabile apparaît en particulier comme un bel acte de foi dans les pouvoirs et les séductions de la peinture.
Andolfatto, Birga, Boni, Cremonini, Fanti, Ferranti, Lomanzo, Maselli, Pavanel, Rieti, Stival, Storel, Tessarolo, Tongiani : Moderato Cantabile 2018 à la galerie Grand E’terna jusqu’au 15 novembre.
Jean-Luc Chalumeau
Critique et professeur d’histoire de l’art
verso.sarl@wanadoo.fr
Illustration : AdobeStock
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