[Actualité artistique]
La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau, critique et professeur d’histoire de l’art
Mathieu Mercier, artiste duchampien
Mathieu Mercier n’est plus un artiste émergent : à 49 ans il est devenu une des figures les plus reconnues de la scène artistique française et même internationale. Outre son importante galerie à Paris, il est en effet représenté à Berlin, Brescia, Zurich et Buenos-Aires.
Après, entre autres, le musée d’art moderne de la Ville de Paris et la Kunsthalle de Nuremberg, voici que le FRAC Normandie-Caen lui consacre une importante exposition dans ses nouveaux et magnifiques locaux (prolongée jusqu’au 1er décembre). Il s’agit de quelques pièces significatives de sa démarche réalisées au cours des années passées, réunies sous le titre Loops (nœuds).
Une seule a été conçue spécialement pour l’occasion : une baie vitrée (Sans titre, 2019) qui laisse apercevoir, plus loin dans un vaste espace sombre, une corde entremêlée de 2014, un nœud précisément, réalisé à la cité internationale de la tapisserie d’Aubusson. Les traits incisés qui rythment la baie vitrée reposent sur le nombre d’or des Anciens.
On avance dans une semi obscurité après avoir laissé, à gauche de l’entrée, une projection de la plus connue des figures de la quatrième dimension, l’hypercube, équivalent 4D du cube 3D ou du carré en 2D. Des lunettes sont à la disposition du visiteur qui comprend tout de suite que Mathieu Mercier s’intéresse aux trouvailles de la science, comme Marcel Duchamp son maître.
On parvient ensuite à une imposante vitrine digne des musées d’histoire naturelle contenant une montagne de terre avec, en son sein, un aquarium abritant un couple d’axolotls, vous savez, ces petits poissons à pattes qui ne se trouvent que dans certains lacs de cratères au Mexique.
Les axolotls ont la propriété de se reconstituer si on les ampute d’une patte ou d’un œil : Mathieu Mercier aime les animaux un peu bizarres comme aussi les holothuries présentées dans une précédente exposition, vous savez ces petites bêtes effrayantes munies de tentacules autour de la bouche, que les coréens trouvent dans la mer et qu’ils mangent avec gourmandise…
Mais il faut parvenir au clou de l’exposition, une vidéo de 2013 (c’était au Palais de Tokyo) que l’on peut voir en 3D relief. Ici encore, des lunettes sont fournies au visiteur qui peut contempler Le Nu : une jolie fille dénudée debout sur un plateau tournant dont la vidéo révèle de temps à autre des détails vus d’extrêmement près : ses beaux yeux verts par exemple, ou un système pileux dans lequel la camera pénètre comme dans une forêt vierge… Là il faut bien avoir en tête que Mathieu Mercier est duchampien : il n’a sans doute pas oublié que son maître avait retrouvé tardivement son illustre nu de 1913 et qu’il l’avait invité lors de sa rétrospective de 1963 au Pasadena Art Museum.
Que pouvait faire Duchamp avec le Nu descendu de l’escalier ? Evidemment une partie d’échecs, comme en atteste une photographie publiée naguère, notamment par mes soins (1). Mathieu Mercier, quant à lui, a placé le Nu de sous d’énormes projecteurs de manière à ce que l’on puisse l’admirer avec les moyens sophistiqués de la technologie contemporaine.
Et c’est de l’art ? demanderont peut-être quelques sceptiques. Évidemment oui, puisque Mathieu Mercier a su acquérir, comme son maître, le pouvoir de nommer. C’est de l’art parce qu’il le dit. Et parce que des institutions ayant autorité le disent avec lui, bien entendu…
(1) Introduction à l’art d’aujourd’hui, Nathan, 1971, p. 30.
Jean-Luc Chalumeau
Critique et professeur d’histoire de l’art
verso.sarl@wanadoo.fr
Photos : ©Frac Normandie Caen – photo Marc Domage
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