[Actualité artistique]
La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau, critique et professeur d’histoire de l’art
Picasso, des citations (moins) connues du maître
On se souvient de la remarquable biographie de Picasso par Sophie Chauveau, dont le premier tome paru en 2017 donnait une interprétation fascinante du minotaure à la fois détesté et admiré. Il y avait eu, avant cet opus, des centaines de livres consacrés au génie, et il y en aurait forcément d’autres.
Voici donc que Laurent Greilsamer nous donne aujourd’hui un ensemble de citations de celui qui avait horreur qu’on l’appelle maître mais qui parlait et écrivait cependant avec l’autorité de celui qui se savait le plus grand artiste de son siècle.
Le Monde selon Picasso, Réflexions, fulgurances et traits d’esprit (éditions Tallandier, 252 pages, 19,90 euros) s’ordonne en chapitres thématiques (Picasso et le monde de l’art, Picasso et les femmes…) avec des présentations rapides par l’auteur qui s’efface régulièrement devant l’inimitable parole picassienne. Beaucoup de citations sont évidemment archiconnues, mais Greilsamer en a déniché quantité d’autres qui le sont moins. Par exemple, à propos des peintres observés et pillés :
« Mais si, mais si, j’ai imité tout le monde ! Sauf moi. »
et
« Copier les autres, c’est nécessaire, mais se copier soi-même, quelle pitié ! »
Ces citations figurent dans le chapitre Picasso et la peinture. Plus loin, dans le chapitre Picasso, le succès et l’argent, elles sont éclairées par une réflexion donnant la philosophie du peintre :
« Le succès est dangereux. On commence à se copier soi-même, et se copier soi-même est plus dangereux que de copier les autres. Cela conduit à la stérilité. »
Au fil des pages, on retrouve le Picasso drôle ou fulgurant conforme à sa légende, mais aussi un Picasso franchement méchant ou ingrat, par exemple à propos de Gertrude Stein, sa bienfaitrice des premières années parisiennes, dont il fut capable de dire :
« Cette cochonne ! Une vraie fasciste avec ça. Elle a toujours eu un faible pour Franco. Imagine ! Pour Pétain aussi. »
Ou encore et surtout :
« Et tout ce qu’elle dit de moi et de ma peinture ! A l’entendre, tout le monde penserait qu’elle m’a fabriqué pièce à pièce. »
Sans parler des incroyables cruautés réservées aux maîtresses délaissées. Ainsi à Dora Maar :
« Vous étiez une Vénus quand je vous ai rencontrée. Maintenant vous ressemblez à un Christ, et même à l’un de ces Christs romans dont on peut compter les côtes. J’espère que vous réalisez que vous ne m’intéressez pas dans cet état. »
Il y a aussi les confidences qui détruisent les savantes analyses des critiques que l’artiste méprisait. Par exemple à propos de la fameuse période bleue :
« Si, à ce moment là, j’ai peint en bleu, c’est parce que la peinture qui coûtait le moins cher était une variété de bleu dans une marque de tubes qu’il m’était plus facile de me procurer. »
Laurent Greilsamer n’oublie pas de citer Picasso homme de plume. Car il a beaucoup écrit : poèmes, pièces de théâtre et même textes accompagnant certaines œuvres. Par exemple, celui rédigé pour le portrait d’Hélène Parmelin, daté 5 novembre 1957. Le couple Parmelin-Edouard Pignon était fortement lié à Picasso dans ces années 50. Il n’était donc pas étonnant que Picasso décide de faire le portrait d’Hélène, lui qui avait refusé cet honneur à Héléna Rubinstein et à tant d’autres. Mais cela n’alla pas sans troubler Pignon. D’où une anecdote qui n’est pas dans le livre, mais qu’Hélène Parmelin m’a confiée. Il s’agit du machisme de ces messieurs. Pignon avait parlé de son souci à Picasso sans se douter qu’Hélène pouvait tout entendre depuis la pièce d’à côté. « Pablo, je suis embêté, car tu as l’habitude de coucher avec tous tes modèles. » « Ne t’en fais pas, tu es mon meilleur ami, naturellement je ne coucherai pas avec Hélène ». Et cette dernière de bondir : « Et moi alors, je n’aurai pas mon mot à dire ? »
Dernier intérêt du livre de Greilsamer, et sans doute pas le moindre : la reproduction de certains textes hostiles à Picasso, avec hargne comme celui de Vlaminck, ou avec regret comme celui de François Mauriac, mais toujours passionnants.
Jean-Luc Chalumeau
Critique et professeur d’histoire de l’art
verso.sarl@wanadoo.fr
Illustrations : © Éditions Tallandier
Nb. Tous les contenus de ce site (textes, visuels, éléments multimédia) sont protégés ; merci de nous contacter si vous souhaitez les utiliser.