[Actualité artistique]
La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau, critique et professeur d’histoire de l’art
Sophie Calle, des « dormeurs » à « parce que »
On annonce une exposition Sophie Calle à la galerie Perrotin (jusqu’au 22 décembre). L’enfant terrible de la scène artistique française rejoint ainsi une grande galerie internationale (Paris, New York, Hong Kong, Tokyo, Shangaï) et ses vedettes souvent turbulentes (Maurizio Cattelan, Takashi Murakami, Wim Delvoye…)
Elle présentera deux ensembles d’œuvres respectivement intitulés « Parce que » et « Souris Calle ».
L’artiste plasticienne-photographe-écrivaine parlera d’elle et de ses soucis intimes, comme toujours. Elle mêlera textes et photos pour notamment s’interroger sur les souffrances liées au divorce.
Mais sait-on bien qui est Sophie Calle ? Wikipedia nous dit tout de suite avec quelque brutalité qu’elle a 64 ans et que son œuvre la plus notoire a pour nom Sleepers. Tiens ! Les dormeurs historiques ont changé de nom ! Cette information lapidaire me ramène presque quarante ans en arrière quand, en janvier 1979, je rendais visite à la jeune et encore absolument inconnue Sophie Calle.
Elle était candidate à la 11e Biennale des Jeunes à Paris et j’étais membre du comité de sélection. Elle faisait partie de la liste des artistes dont je devais présenter le dossier. Nous ne savions rien d’elle, sinon qu’elle était la fille d’un grand collectionneur d’art contemporain, Bob Calle. Je me suis retrouvé dans un grand appartement bourgeois (on le lui prêtait) où elle donnait ses rendez-vous, car elle n’avait pas d’atelier. Pas d’œuvre visible, pas de maquette, rien qui ressemble à ce que les plasticiens proposaient alors volontiers à la Biennale.
Sophie Calle ne proposait ni une réflexion sur le « support » ou la « surface » (c’était la mode alors dans les écoles des Beaux-arts), ni une réaction anticonceptuelle avec de la « peinture-peinture » (c’était l’année où Gérard Garouste allait être révélé par cette même 11e biennale).
Non, il s’agissait d’un simple recueil de photographies assez banales, semblait-il, représentant des personnes en train de dormir dans un lit que l’artiste me montrait par ailleurs (« je leur propose des draps de rechange, mais ils ne les prennent pas tous » fut à peu près son seul commentaire). C’était la série des Dormeurs appelée à la célébrité. Je ne dis pas que mon compte rendu au comité fut enthousiaste, mais enfin l’idée plut beaucoup à celui qui parmi nous avait le plus d’autorité, Bernard Lamarche-Vadel, et Sophie fut sélectionnée.
Pour comprendre l’ensemble des séries de Sophie Calle (dont l’une des plus remarquables a été Douleur exquise au Centre Pompidou en 2004), on pourrait relever leur dénominateur commun : les légendes des images.
Il faut à Sophie Calle la verbalisation d’un fantasme pour que puisse commencer l’enquête vouée à son accomplissement, dont les photographies ne seront que les traces visibles. Conclusion (« redoutable », selon un de ses commentateurs, Yve-Alain Bois) : la photographie est toujours pauvre face au langage qui l’a fait naître. « Je vois l’œuvre de Sophie Calle comme une thérapeutique, un travail de déniaisement, presque un iconoclasme en notre siècle iconophage », notait le critique.
Seuls compteraient l’intention, le discours, le contexte. Longtemps, Sophie Calle ne nous a parlé que de ses déboires amoureux. Nous irons voir avec curiosité chez Perrotin de quel nouveau discours elle a choisi de nous entretenir.
Sophie Calle à la galerie Perrotin, jusqu’au 22 décembre 2019
Jean-Luc Chalumeau
Critique et professeur d’histoire de l’art
verso.sarl@wanadoo.fr
Illustration : AdobeStock (attention : il ne s’agit pas d’une oeuvre de Sophie Calle)
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