[Marché de l’Art]
Par Geoffroy ADER, expert en montres et horlogerie de collection
En prenant exemple sur le secteur dynamique des montres de collection, devenu en quelques années l’un des plus en pointe sur le marché de l’art, il est intéressant aujourd’hui d’analyser les comportements de tous ces nouveaux types de collectionneurs que l’on peut qualifier à la fois de « collectionneur » et « consommateur digital », qui achètent de l’art autrement.
En tant qu’expert, lorsque je vois le chemin parcouru avec la plus haute enchère à plus de 24 millions de dollars pour la Patek Philippe Graves Super Complication en 2014 chez Sotheby’s à Genève, je pense qu’il est encore possible de déplacer les montagnes avec l’univers du digital sur le marché de l’art, auquel appartient désormais la spécialité des montres de collection.
« Il est encore possible de déplacer les montagnes avec l’univers du digital sur le marché de l’art. » Geoffroy AderClick to TweetAvant l’été, le garde des Sceaux a pointé avec justesse les défis qui attendent notre marché de l’art et les enchères en particulier, ce qui nous oblige désormais à regarder l’avenir avec de « nouveaux yeux » plutôt que de vouloir découvrir de « nouveaux horizons ».
À l’occasion de cette rentrée parisienne, tout le monde ne parle que de cette Biennale avec son nombre d’exposants diminué de moitié, mais selon moi ce n’est pas une problématique propre à la Biennale ; c’est justement l’inverse puisque tous les salons quels qu’ils soient sont touchés par l’arrivée de ce nouveau monde « ultra dématérialisé ».
Tout comme les grandes marques de luxe, les acteurs du marché de l’art sont également confrontés à des changements radicaux dans leur univers avec l’arrivée de nouveaux types de clients qui sont ultra-connectés. Les collectionneurs sont remplacés progressivement par des « consommateurs digitaux » qui viennent « acheter de l’art autrement ».
C’est la dynamique digitale qui déplace les amateurs, nous devons tous prendre conscience que la communication virtuelle a pris le pas sur toute autre forme de communication dans le réel, il ne suffit plus de se tourner vers ses glorieuses années pour attirer les nouveaux clients ; il faut également regarder la réalité de notre société d’aujourd’hui.
Dans le domaine des montres c’est identique : il faut savoir se réinventer et c’est pour cela que l’on doit bousculer nos habitudes et se tourner vers le digital. La Biennale, c’est l’alter ego de Basel World pour l’horlogerie de luxe, qui vient de perdre son plus gros exposant, le Swatch Group. Ces deux institutions, chacune dans leurs domaines, sont confrontées à cette même adéquation : concilier le monde d’avant avec celui de demain.
Il est donc temps de se poser les bonnes questions et je remercie ici Guillaume Horen, fondateur d’Achetez de l’Art, de me donner l’opportunité de m’exprimer sur cette question du digital qui doit être au cœur de toute la stratégie des évènements dans l’univers du luxe et de l’art aujourd’hui.
Sans toute cette réflexion, on risque de toujours rester dans l’entre-soi, qui fait malheureusement couler beaucoup d’encre pour rien. Il est temps de se confronter à la réalité de notre monde « dématérialisé ».
Oui, je vous le dis avec détermination : c’est beaucoup mieux aujourd’hui qu’avant et à cette occasion je remercie les pouvoirs publics et le garde des Sceaux d’avoir enfin ouvert le débat sur la réalité de notre marché de l’art aujourd’hui. Avec cette nouvelle réforme des ventes publiques en préparation, nous devons désormais nous tourner vers les nouvelles technologies et prochains défis du numérique.
En voulant donner un nouvel élan au monde des enchères suite aux deux dernières réformes, le garde des Sceaux a donné un signal ultra positif sur l’avenir du marché de l’art en France, tout en étant pragmatique face à un monde de plus en plus globalisé et dématérialisé :
« Ces deux grandes réformes ont tenté de conjuguer la sécurité vis-à-vis des consommateurs et l’attractivité économique, toutefois la profession d’opérateur de ventes volontaires doit de nouveau relever des défis, la profession doit moderniser son activité ainsi que sa compétitivité en relevant le défi du numérique » Nicole Belloubet – Garde des Sceaux
Ne soyons pas défaitistes, ne soyons pas alarmistes, soyons juste enthousiastes pour l’avenir du marché de l’art qui sera digital ou ne sera pas. Le collectionneur n’est plus le même aujourd’hui qu’au siècle dernier ; il ne collectionne plus comme avant car il « consomme » de l’art sous différentes formes avec des spécialités comme les montres de collection, qui sont au cœur du marché de l’art tout comme les automobiles de collection.
« L’avenir du marché de l’art sera digital ou ne sera pas. » Geoffroy AderClick to TweetVoilà pourquoi la passion des montres qui m’anime depuis presque vingt-cinq ans est depuis quelques années au centre de toutes les attentions sur le marché de l’art. Année après année, les records tombent mais rien n’aurait été possible sans la globalisation du marché et le développement fulgurant des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, Instagram ou LinkedIn, et d’autres encore à l’exemple du géant chinois WeChat.
La montre de collection n’a pas de barrière culturelle, c’est aussi ce qui fait la force de cette spécialité dans le monde digital : elle s’adresse à la planète entière avec un univers qui lui est propre, les marques et leurs histoires font rêver toute une génération de « consommateurs » qui deviennent rapidement des « collectionneurs ».
Rien ne pourra arrêter le développement du digital et nous sommes tous liés par l’accroissement de la « dématérialisation » dans nos vies. Un « j’aime » sur Instagram se transforme le plus souvent en un acte d’achat ; ce n’est pas seulement une photo, c’est aussi la possibilité offerte à un « consommateur digital » d’acheter de l’art pour devenir par la suite « collectionneur ».
Les règlementations et autres dimensions juridiques ne pourront lutter contre la globalisation et la digitalisation du marché qui est au cœur de toutes les préoccupations des professionnels du marché de l’art sur le plan mondial.
La profession dans son ensemble doit s’adapter au monde de demain et mettre en avant son expérience et expertise sur chaque sujet.
Pour se convaincre de cette évidence, il faut observer la croissance des ventes uniquement sur Internet, notamment sur les sites de Sotheby’s, Christie’s et maintenant Drouot Digital, qui témoigne de l’émergence d’un nouveau type de « consommateur » sur le marché de l’art.
En visitant les galeries du plus vieux temple des enchères à Londres, Sotheby’s sur New Bond Street, quelle n’a pas été ma surprise de voir sur le comptoir des catalogues davantage de plaquettes annonçant des ventes virtuelles que de catalogues de ventes aux enchères réelles. C’est cela la réalité de notre marché aujourd’hui, et nous devons être conscients de cet état de fait.
Personne n’en a parlé et pourtant la conférence de Christie’s, la sœur rivale de Sotheby’s, sur les effets de la blockchain dans le marché de l’art a bien eu lieu à Londres en juillet dernier. Tout ce qui s’annonce est passionnant et nous devons nous en réjouir, mais nous devons surtout bien prendre conscience que le marché de l’art a basculé dans une dimension qui tend de plus en plus vers « de nouveaux défis numériques ».
C’est précisément ce « défi numérique » qui sera au cœur de la transformation du secteur et nous devons tous y être préparés de la meilleure manière, ce qui permettra à chaque acteur de trouver sa place. Si nous tous avons un regard tourné vers l’avenir, nous devons adopter ce nouvel esprit « start-up » dans toutes nos actions sur le marché de l’art.
« Le défi numérique sera au cœur de la transformation du secteur et nous devons tous y être préparés de la meilleure manière. » Geoffroy AderClick to TweetSi le marché de l’art en France était réservé à un cercle d’initiés après 1945, il a connu son apogée en France avec « l’ultra personnalisation » de la figure du commissaire-priseur jusqu’aux années 1980, puis il a ensuite perdu la bataille de « l’ultra institutionnalisation » avec des institutions du marché qui sont devenues des marques, Christie’s, Sotheby’s ou encore la marque Artcurial ayant profité largement de la globalisation du marché.
Mais aujourd’hui ce qui se prépare est « l’ultra dématérialisation » du marché, qui risque fort de changer complètement la donne comme en témoigne les derniers chiffres où les enchères par Internet ont représenté en 2017 plus de 37% du montant total des ventes en France.
On doit s’adapter aux exigences du « consommateur digital » qui a l’habitude d’avoir une offre très large sur Internet et recentrée dans le monde réel, en quelque sorte grâce à la sélection des pièces de qualités et rares avec le plus souvent une provenance. Il ne suffit pas de vendre, il faut savoir attirer le « collectionneur » ou « consommateur digital » vers le meilleur canal de vente qui est le plus approprié pour l’objet.
Tous ces éléments sont à prendre compte pour bien réfléchir au sens que nous voulons donner au marché de l’art dans dix ans ; cette nouvelle réforme des ventes publiques en France est une occasion unique pour bien définir les contours de « l’ultra dématérialisation » du marché de l’art avec un nouveau type de « consommateur digital ».
La première réforme des ventes publiques sur le monopole des commissaires-priseurs en 2000 ne connaissait pas Internet, Google avait deux ans, Facebook, Twitter, LinkedIn ou Instagram n’existaient pas et aujourd’hui le marché de l’art ne peut plus s’en passer ; alors la réforme doit se tourner vers ce qui fera que demain les Millennials auront encore envie de venir assister à une vente aux enchères publique.
C’est avec passion, enthousiasme et conviction que je pense que le nouveau « consommateur digital » n’est pas un mot dont nous devons rougir ; il faut bien au contraire le considérer avec beaucoup d’égards et le définir comme la nouvelle génération de collectionneur, qui a décidé de se mettre en marche pour « acheter de l’art autrement ».
« La concurrence se jouera sur le terrain de nos conquêtes dans l’ère dématérialisée. » Geoffroy AderClick to TweetIl n’est plus question de se poser la question de savoir quelle est la place de Paris par rapport au reste du monde, ni même de savoir si telle ou telle spécialité est en devenir, il est temps de se poser les bonnes questions sur la révolution digitale qui est en cours. Le terrain de jeu pour nous tous acteurs du marché de l’art sera virtuel et la concurrence se jouera sur le terrain de nos conquêtes dans « l’ère dématérialisée ».
Qui aurait imaginé que le marché de l’art soit autant influencé par tous les réseaux sociaux ? C’est pourtant aujourd’hui une réalité quotidienne pour chacun d’entre nous qui utilisons notre smartphone à longueur de temps. Voilà ce qui m’amène à me servir de l’exemple de ma spécialité des montres, qui sont sans aucun doute le vecteur le plus adéquat pour cette audience issue du monde digital.
Restons lucide et soyons humble, si le marché de l’art a explosé ces dernières années c’est aussi grâce à cette globalisation qui s’est complètement digitalisée. Sans l’apport de ce souffle nouveau qu’est Internet, je ne serais certainement pas en train d’écrire ces quelques lignes.
Après avoir eu la chance de parcourir le monde grâce aux montres de collection, force est de constater pour moi que le potentiel se trouve dans le digital et ses développements multiples.
Mais quelles sont les raisons profondes de cette mutation ? Quelles seront demain aussi les conséquences de cette transformation digitale ? Autant de questions qui devraient nous faire réfléchir sur l’avenir du marché du l’art. Il est crucial aujourd’hui de se poser les questions qui sont essentielles face à l’avenir du marché dans un contexte proche, qui se focalisera sur l’utilisation des données et leur interprétation : le Big Data ou la blockchain.
D’aucuns pourront argumenter dans le sens inverse : Mais cela ne nous concerne pas ? Notre métier est dans le réel ? Il faut toucher les œuvres ? Rien ne remplacera mon expertise ? Il faut avoir un contact humain ? Oui, toutes les réponses sont bonnes et pourtant j’attire ici l’attention de tous sur le développement de l’intelligence artificielle qui se prépare et sera sans nul doute au cœur de beaucoup de nos métiers dans l’art.
L’intelligence artificielle n’est pas un concept, c’est déjà notre réalité quotidienne : l’écriture prédictive sur nos smartphones et bien d’autres choses encore, notamment dans l’art avec les moteurs de recherche sur les plateformes comme les géants du net que sont devenus Invaluable ou Barneby’s avec leurs alertes hautement personnalisées. L’art est d’ailleurs l’une des toutes premières priorités de Google et de la bande des quatre GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple).
Alors ne soyons pas une fois encore effrayé, il va falloir s’adapter et s’organiser avec ces acteurs incontournables du net pour leur faire bénéficier de notre expérience et de nos émotions ; je fais le vœux ici qu’ils nous entendent et serai ravi de partager avec eux ma passion sur le sujet des montres !
Jony Ive, l’un des pères de l’Apple Watch, interviewé l’année dernière par le blog américain Hodinkee, est fan de montres vintage ; son amour des belles montres est vraiment mis en avant et nul ne doute qu’il sait de quoi sera fait le marché de l’art de demain avec l’intelligence artificielle. La passion est le moteur de notre métier, et je pense que la montre sera l’objet de rêve pris en exemple pour illustrer les potentiels du marché de l’art digital de demain.
Nous vivons une époque formidable, pleine de promesses, avec des avancées technologiques qui sont phénoménales, nous devons être conscients de ces formidables opportunités qui nous sont offertes, mais ne tombons pas dans un conservatisme stérile, essayons de conjuguer les maîtres mots qui font la force de grandes marques horlogères : tradition et innovation. Oui les montres sont des objets d’arts à part entière avec une vraie dimension unique dans le domaine de la collection. Une spécialité résolument tournée vers le « consommateur digital ».
« Ne tombons pas dans un conservatisme stérile, essayons de conjuguer les maîtres mots qui font la force de grandes marques horlogères : tradition et innovation. » Geoffroy AderClick to TweetÀ l’inverse de certains qui me disent « c’était mieux avant », je ne me résigne pas à voir notre marché de l’art se risquer à vouloir « découvrir de nouveaux horizons » mais plutôt à prendre conscience des enjeux cruciaux pour l’avenir avec de « nouveaux yeux ». Oui, je l’affirme avec détermination, je milite pour un nouveau monde dans lequel le « consommateur digital » a toute sa place à l’égal du « collectionneur », les deux mondes étant indissociables l’un de l’autre.
Acteur du marché de l’art, collectionneur et/ou consommateur digital, je vous invite, si vous rejoignez ma vision du marché de l’art de demain, à relayer massivement cette tribune sur vos réseaux sociaux, donner votre avis ci-dessous, et renforcer ainsi la place du digital dans la prochaine réforme du marché de l’art en France.
Nb. Tous les contenus de ce site (textes, visuels, éléments multimédia) sont protégés ; merci de nous contacter si vous souhaitez les utiliser.
Vous avez une question ?
Contactez-nous ou laissez un commentaire ci-dessous.