Pascal Chind nous parle de Bunkerville, sa première BD en tant que scénariste
L’année 2024 commence fort chez Achetez de l’Art, avec l’exposition très attendue des planches originales du nouvel opus de Vincenzo Balzano, Bunkerville, à paraître le 5 janvier prochain aux éditions Ankama avec au scénario Pascal Chind et Benjamin Legrand.
Nous avons eu la chance de nous entretenir avec l’excellent Pascal Chind à propos de Bunkerville.
« Vincenzo Balzano est un artiste aussi talentueux qu’audacieux. Avec Bunkerville, il exprime tout son talent. » Pascal Chind
Comment vous est venue l’idée du récit de Bunkerville ?
Je voulais raconter une histoire qui se passe dans un monde artificiel, fermé sur lui-même, une sorte de laboratoire humain dans un cadre totalitaire. Une fois passé dans le « shaker » du temps, on allait découvrir ce que donnerait le brassage de cette population, un siècle et demi plus tard… J’avais aussi envie de parler des troubles mentaux. J’ai été très tôt sensibilisé à la maladie mentale. Pendant mes études, j’ai travaillé dans un hôpital psychiatrique à Montréal où j’ai vécu l’une des expériences les plus riches de mon existence. Depuis cette époque, je m’intéresse à ceux qui sont en marge de la société, en dehors de la « norme. » Ce n’est donc pas un hasard si la grande idée du richissime Edgard P. Schnopz, le démiurge de Bunkerville, est d’offrir à son fils déficient mental, une vie normale, un monde où d’autres comme lui représenteront la norme. Schnopz décide de construire un monde habité et gouverné par cette population singulière. C’était une manière de leur donner le contrôle, leur autonomie, leur « normalité ». C’est du moins, ce qu’il a cherché à faire, en toute bonne foi, quand il initie le projet au milieu du XIXe siècle. Mais la générosité du démiurge se transforme progressivement en système totalitaire, un enfermement où la police fait régner la terreur et où une justice absurde est rendue.
La maladie mentale, thème central de Bunkerville, a forcément dû être un sujet difficile à aborder ?
Oui, c’est un sujet complexe, il faut savoir de quoi on parle. Pour autant, dans Bunkerville, je ne mets pas l’accent sur une maladie en particulier. Le personnage principal, Laurel, traverse un épisode de dépression aigue, qui l’incite à vouloir s’enlever la vie en s’enfonçant dans l’océan… Au moment de sombrer, il retrouve pied et fait naufrage sur une île, inconnue et mystérieuse, camouflée dans un épais brouillard.
Si la population originelle était composée d’habitants ayant tous une pathologie mentale, ce n’est pas forcément le cas de leurs descendants. Mais l’enfermement et le temps a laissé des traces… Ils ont tous les attributs d’une population du XIXe siècle, mais quelque chose à changé dans leur manière de vivre et dans le rapport à l’autre. Ça s’est répercuté sur le fonctionnement de la cité, qui est parfois chaotique et dangereuse.
Que voulez-vous raconter avec Bunkerville ?
Je raconte une histoire sur deux niveaux. Bunkerville est une grande aventure romanesque qui flirte avec le fantastique « vernien » et l’absurde « robidesque ». Le deuxième niveau de lecture nous plonge dans l’aventure intérieure du personnage, qui a du mal à affronter la réalité.
Comment avez-vous travaillé avec Vincenzo Balzano ?
Depuis le départ, j’ai porté une attention particulière à préserver l’apport créatif de Vincenzo dans Bunkerville. C’est un élément qui est primordial pour moi. L’artiste doit pouvoir s’exprimer librement et sentir qu’il a toute légitimité pour le faire. Cela ne veut pas dire de tout accepter en bloc, mais au départ, il doit pouvoir sentir cette liberté, aussi naturellement qu’il respire. Nous avons discuté de l’histoire, des personnages, de l’époque, puis je l’ai inondé de fichiers de toutes sortes (références diverses, illustrations, tableaux, photos etc.) J’en avais amassé un paquet depuis le temps ! Vincenzo est un artiste aussi talentueux qu’audacieux. Avec Bunkerville, il exprime tout son talent.
Vous avez également travaillé sur l’histoire de Bunkerville avec d’autres auteurs de BD. Pouvez-vous nous en dire plus ?
J’ai eu le plaisir développer une version cinématographique de Bunkerville avec François Schuiten, Benjamin Legrand et Nicolas Fructus.
Quand j’ai rencontré Benjamin la première fois, il venait d’écrire le scénario d’Avril et le Monde Truqué, qui allait être mis en dessin pour le cinéma par son ami Jacques Tardi, avec qui il a avait déjà collaboré sur le Tueur de Cafards chez Casterman. Benjamin avait déjà les deux pieds dans le XIXe siècle et l’uchronie, j’arrivais à point nommé ! On a mis tous les éléments de l’histoire à plat et avons accouché d’un traitement pour le cinéma. Ce n’est que des années plus tard qu’il m’est apparu comme une évidence que Bunkerville devait être une bande dessinée avant tout. Ce n’est pas un hasard si j’étais allé voir François Schuiten avec mon histoire. Peut-être avais-je été trop intimidé pour la lui proposer sous cette forme ? C’est ce que prétend ma femme…
Est-ce qu’on pourrait qualifier Bunkerville de BD steampunk ?
Je préfère la qualifier de vernnienne ou même de Robidesque, deux influences fortes et contemporaines de l’histoire, du moins, des origines de sa genèse. C’est la « fermeture » définitive de l’île, coupée de toute autre forme d’influence extérieure, qui « déclenche » une sorte d’uchronie artificielle. Bunkerville sera amené à se développer en vase clos, il en découlera une histoire forcément alternative, mais dans un cadre isolé du reste du monde.
Pouvez-vous nous parler un peu du personnage principal, Laurel ?
Entrer dans Bunkerville, c’est plonger dans la psyché de Laurel, un cerveau meurtri, dont on découvre les ramifications sombres et mélancoliques. Il n’accepte pas la disparition de celle qu’il aime. Il croule sous la culpabilité. Bunkerville est à la fois un refuge, à l’abri d’un monde qu’il ne supporte plus et l’espoir de retrouver celle qu’il aime, et donc le goût à la vie.
Que représente pour vous l’exposition des planches originales ?
C’est une chance inouïe, un moment rare pour une première BD (en ce qui me concerne), d’avoir l’opportunité de montrer le travail décortiqué et de pouvoir montrer la maîtrise technique et artistique immense de Vincenzo Balzano.
Informations pratiques
• Exposition Bunkerville du 5 au 20 janvier 2024
• Vernissage le vendredi 5 janvier à 18h en présence de Vincenzo Balzano et Pascal Chind
• Une séance de dédicaces de Vincenzo Balzano est organisée de 16 à 18h le 5 janvier chez BDNet Bastille
• Les planches originales de Bunkerville seront en ligne sur notre shop à compter du 5 janvier
• Horaires de la galerie : du mercredi au samedi de 11h à 19h
• 24 rue de Lappe 75011 PARIS (m° Bastille)