[Actualité artistique]

La lettre hebdomadaire de Jean-Luc Chalumeau, critique et professeur d’histoire de l’art

Les collectionneurs amoureux

La fondation Zervos à Vézelay expose la collection de Jean-Claude et Nina Mosconi jusqu’au 1er septembre sous le titre « Une affaire de passion » : une étape recommandée cet été aux amateurs d’art moderne et contemporain.

Nina et Jean-Claude Mosconi sont des collectionneurs d’art contemporain, comme le furent avant eux  Christian et Yvonne Zervos ou Carlota et Philippe Charmet, mais que signifie « être collectionneur » ?

Il se trouve que j’ai proposé naguère une petite typologie pour essayer d’y voir clair, car les collectionneurs sont très divers dans leurs motivations et leurs procédés : il y aurait essentiellement quatre groupes. On pense d’abord aux collectionneurs historiques qui s’inscrivent dans la tradition d’une Dominique de Menil. Héritière Schlumberger, elle a pu réunir une fabuleuse collection d’œuvres de toutes les époques et tous les styles dans la plus grande discrétion. C’est même avec réticence qu’elle accueillait le titre de collectionneuse : « Longtemps j’ai repoussé l’idée de collection écrivait-elle en 1984. Le mot même me paraissait chargé de prétentions. Il impliquait des partis-pris, je n’en voulais aucun… » Le musée abritant sa collection à Houston est aujourd’hui une référence mondiale.

Deuxièmement, il y aurait les nouveaux collectionneurs richissimes qui suivent aujourd’hui les traces d’un Charles Saatchi : seule compte la valeur marchande des pièces qu’ils accumulent sans discernement. Leur moteur est la spéculation et, surtout, le snobisme. Ce sont eux dont la presse parle, pour leur plus grande satisfaction.

Troisièmement, il y aurait les collectionneurs mondains. Leurs moyens financiers sont importants, mais pas autant que ceux des précédents. L’essentiel pour eux est d’utiliser le titre flatteur de « collectionneur » pour se faire inviter à ce titre dans les multiples commissions d’achats, comités techniques, conseils d’administration d’institutions liées à l’art qui permettent d’exercer une influence et de paraître avantageusement dans le monde alors même que, la plupart du temps, ils sont parfaitement incultes en matière d’histoire de l’art ou d’esthétique. Voilà tout ce que ne sont pas Nina et Jean-Claude Mosconi.

Car il y a une quatrième catégorie, celle des collectionneurs amoureux. Ils aiment avec passion l’art vivant, de manière désintéressée, et nouent volontiers des relations d’amitié avec les artistes dont la démarche les a séduits. Leurs moyens sont limités, c’est pourquoi ils s’attachent plutôt à des créateurs au tout début de leur carrière, au moment où leurs œuvres sont encore abordables.

C’est ainsi que fonctionnent, si j’ose dire, Nina et Jean-Claude. Ce dernier, interrogé par la journaliste Roxana Azimi, a témoigné de l’une de ses expériences de collectionneur à propos de Giulia Andreani, une artiste italienne née en 1985 vivant à Paris, qui travaille à partir d’images d’archives : « Quand une toile contient une part d’éternité qui d’emblée rejoint notre intimité et ricoche sur des parcelles de notre mémoire, il est question d’une vraie et belle rencontre, un échange… » Jean-Claude Mosconi, lui-même fils d’immigré, a été touché par la manière plastique dont Giulia Andreani a su rendre de manière dépouillée « chagrin et espoir de ceux qui quittent tout pour un ailleurs forcément hypothétique et angoissant… » Il a donc acquis avec enthousiasme Il cammino della speranza.

Nina et Jean-Claude Mosconi visitent dès qu’ils le peuvent les ateliers et les galeries : Premier Regard ou Nathalie Obadia à Paris par exemple. Lorsqu’on entrait galerie Nathalie Obadia début avril 2019, on était frappé par deux grandes compositions de Jérôme Zonder au seuil de l’accrochage : Portraits de main 1 et 2, des dessins à la poudre de fusain et poudre de graphite sur papier.

Jean-Claude Mosconi par Jérôme Zonder
Portrait de Jean-Claude Mosconi par Jérôme Zonder ©Fondation Zervos

Or Jérôme Zonder, artiste original de grand talent maintenant reconnu, qui vient d’entrer dans  cette galerie de premier ordre, est collectionné depuis longtemps par les Mosconi, et ils sont devenus des amis proches. On peut voir, entre autres, un portrait de Jean-Claude par Jérôme dans l’exposition de la fondation Zervos.

Autre exemple de jugement prémonitoire, Jean-Claude Mosconi acheta dès 1985 Kom Ombo’s foot de Catherine Viollet qui, elle aussi devait devenir une amie. D’autres acquisitions ont naturellement suivi, dont celle présente à l’exposition…

Quel rapport établir, finalement, en cheminant dans la collection de Nina et Jean-Claude, entre les œuvres de Stéphane Pencréac’h, co-initiateur du mouvement « sous-réaliste » (avec Vuk Vidor) en réaction à la conceptualisation ambiante, et la peinture « métaphysique » –  donc fort conceptuelle –  de Djamel Tatah ?

Quelle relation formaliser entre les images mélancoliques de Rémi Blanchard (mort d’overdose en 1993) et les flamboyantes compositions très actuelles de Claire Tabouret, née en 1981, qui vit à Los Angeles et aborde une prometteuse carrière internationale ?

Quels liens unissent la lecture « cérébrale et charnelle » de l’histoire de la peinture par Christian Hidaka, né au Japon en 1977, et la description d’une humanité grotesque par Gregory Forstner, né au Cameroun en 1975 de père autrichien (et de grands parents nazis précise l’artiste) ?

Nous pourrions poursuivre longtemps nos questions, par exemple en opposant les abstractions d’Alberto Cont  aux figures à cheval entre peinture et sculpture de Damien Cabanes ou aux images inquiétantes d’Axel Pahlavi, mais il n’y a jamais de réponse d’ordre esthétique possible. Le dénominateur commun des pièces si variées et parfois même contradictoires de la collection Nina et Jean-Claude Mosconi, c’est la passion de ceux qui les ont choisies. Le principe d’unité, c’est leur goût qui est merveilleusement ouvert.

Il n’y a pas de meilleur exemple que ces deux là, décidément, pour illustrer la catégorie des collectionneurs amoureux.

www.fondationzervos.com

Jean-Luc Chalumeau, critique d'art et professeur
Jean-Luc Chalumeau
Critique et professeur d’histoire de l’art
verso.sarl@wanadoo.fr

Illustrations : © Fondation Zervos

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